La décision prise par la France d’envoyer 800 hommes pour aider à restaurer l’État déliquescent de la République Centrafricaine (RCA) et arrêter un conflit qui menace d’embraser les pays voisins comme le Cameroun, est louable. Cette décision vient consolider la nouvelle tendance de la politique sécuritaire française en Afrique. Cette nouvelle orientation a commencée à se dessiner avec la Côte-d’ Ivoire, où la France dirigée par M. Sarkozy (Président issu de la droite) a été chef de fil du déploiement de l’ONU dans la chute du Président Laurent Gbagbo et l’installation à la présidence, d’Alasane Dramane Ouattara, le présumé vainqueur d’une élection présidentielle très controversée. Elle s’est poursuivie par la campagne militaire contre Mouammar Kadhafi en Libye. Si pour les africains ces deux démonstrations de force ont suscité la controverse, les dernières interventions décidées par le Président Hollande (Parti socialiste) en faveur du Mali et maintenant la décision de stopper les atrocités et contribuer à la stabilité en RCA reçoivent un accueil plutôt très favorable.
Réputée pour l’utilisation de la force pour assoir les régimes autoritaires dans les pays francophones d’Afrique, la France aujourd’hui, donne l’impression d’user de la même force pour rétablir la stabilité et l’état de droit. Il est à noter que, si la France adopte cette nouvelle stratégie d’intervention, cela ne signifie pas qu’elle a modéré ou changé sa perception de l’Afrique. Plusieurs personnes dans la sphère politique et celle des affaires en France considèrent encore l’Afrique francophone comme son « pré carré ». L’histoire des relations entre la France et l’Afrique francophone nous apprend que ces interventions ne sont pas altruistes ou gratuites pour les Africains. Par le passé, ces interventions ont renforcé les intérêts de la France dans la région, il n’y a pas de raisons qu’il en soit autrement aujourd’hui. Cette réalité est de plus en plus confirmée par la récente vague de rapports financés par le gouvernement français, qui démontrent en filigrane de l’apport important de l’Afrique dans la prospérité présente et future de la France. Réalité clairement renforcée par le titre du dernier rapport du Sénat français sur les relations entre l’Afrique et la France : «L’Afrique est notre avenir ».
Aucun pays d’Afrique n’illustre mieux que la République Centrafricaine cette nouvelle donne des interventions de la France. En effet, le 20 septembre1979, la France lançait l’opération Caban pour renverser l’Empereur Bokassa et porter au pouvoir le Président David Dacko (qui lui-même fut renversé par un coup dirigé par Bokassa en 1966). L’opération Caban a été suivie par « l’opération Barracuda » pour sécuriser le Président Dacko nouvellement porté au pouvoir.
Ce fut à cette époque, un moment particulier dans l’histoire de la région et de celle de la RCA. Un moment au cours duquel certains politiciens français se prévalaient de ce que rien ne pouvait se passer dans leur « arrière-cour africaine » à leur insu ou sans leur influence. Les politiciens africains étaient également convaincus de la toute-puissance de cette « ancienne » puissance coloniale. Cette conviction a longtemps entretenu ce qui de triste mémoire, a été connu sous le nom de « diplomatie des mallettes »; dans le cadre de laquelle les dirigeants africains se serviront de « porteurs de mallettes» pour livrer des valises pleines d’argent et de diamants à une certaine élite politique française. Depuis lors, beaucoup de choses ont changé : la fin de la Guerre froide, l’émergence de nouveaux pays puissants faisant concurrence à la France dans la région, les changements politiques internes tant en France qu’en Afrique, etc. L’interventionnisme de la France va aussi évoluer et s’adapter à cette ère nouvelle.
La décision d’envoyer en République Centrafricaine des soldats dans le cadre de l’opération Sangaris en plus des 400 qui y sont actuellement vise officiellement à aider la Mission africaine à arrêter le cycle de violence, de faciliter le retour des organisations humanitaires et de désarmer les milices armées. Du fait de cette intervention qui vient à la suite de celle effectuée au Mali, la France dessine progressivement un modèle d’intervention dans les conflits en Afrique. Cette nouvelle stratégie comporte 4 principales étapes :
- Un effort diplomatique concerté pour obtenir l’accord de la communauté internationale, du Conseil de sécurité des Nations-Unies et des pays de la ligne de front du conflit concerné, avec pour objectif d’obtenir la légitimité et la force de la règle de droit.
- Un déploiement d’une force militaire agissant comme force de transition pour arrêter la violence, protéger les civils et créer un espace sécurisé pour les interventions humanitaires.
- Une collaboration entre la force militaire française et les forces régionales (en général appuyées par l’UA) pour préparer la transition et le déploiement des forces de maintien de la paix de l’UA / des Nations Unies.
- Une présence militaire de dissuasion en fonction du théâtre des opérations, afin de dissuader les groupes hostiles, combattre les groupes terroristes et/ou former l’armée nationale.
Cette stratégie globale a été mise en exécution au Mali et maintenant, elle se déploie en République Centrafricaine. Aussi cohérente que puisse paraître cette stratégie, elle ne manque cependant pas de failles. Tel que les événements se sont déroulés au Mali, si les efforts diplomatiques concertés ont apporté une certaine forme de légitimité et que l’intervention militaire a empêché des groupes islamistes de s’accaparer de Bamako, la collaboration avec les forces de l’ONU et la présence permanente des forces françaises de dissuasion suscitent des questions de fond et commencent à produire des conséquences néfastes, notamment la résurgence de sentiments nationalistes et anti-français ainsi que des alliances locales avec des groupes terroristes. En d’autres termes, les avantages obtenus au Mali à travers les étapes 1 et 2 de l’intervention française sont menacés par les défis posés par les étapes 3 et 4.
En République centrafricaine, alors qu’il est encore trop tôt pour discuter des étapes 3 et 4 de la stratégie de l’intervention française, nous pouvons déjà estimer le prix à payer aux étapes 1 et 2. Pendant que la communauté internationale essaie de trouver un consensus sur une façon d’intervention, des milliers de personnes sont victimes de massacre et le pays sombre dans le chaos. Aujourd’hui, l’intervention arrive peut-être trop tard pour les centaines de milliers de victimes de cette guerre, en particulier pour le défunt procureur de la République Modeste Martineau, assassiné le 16 Novembre 2013.
Que dire du déploiement militaire en RCA? Le jour suivant l’annonce faite de la France du déploiement de ses troupes en RCA, certains éléments des ex-Séléka qui terrorisaient les populations ont commencé à quitter Bangui avec leurs armes et équipements pour une destination inconnue ; on espère que les forces pro-Bozizé (président déchu) et anti-Balakas feront de même. Si ce départ peut être interprété comme un bon signe pour les populations locales qui ne vivront pas des jours supplémentaires de terreur, il est cependant mauvais signe pour la stabilité de la région. Avec sa forêt dense et les frontières poreuses, la région offre de nombreuses cachettes pour ces groupes de dangereux bandits. Ils iront probablement d’un coin à l’autre des forêts, des villes et villages voisins, sèmeront des troubles et vendront leurs compétences au plus offrant, comme ce fut le cas lors des conflits en Sierra Leone, au Liberia et en Côte- d’Ivoire. Le soulagement à court terme que pourrait apporter l’intervention française peut être précurseur de la future instabilité régionale à long ou à moyen terme. Le Cameroun ressent déjà les effets néfastes de ce conflit. Il y a de fortes chances qu’avec la «fuite» de quelques hommes armés de l’ex-Séléka de Bangui, on assiste à une recrudescence des activités criminelles dans les villes et cités frontalières de la région.
Bien entendu, aucune stratégie n’est parfaite, surtout en tenant compte de la complexité des situations de conflit. Même s’il peut-être trop tôt de tirer des conclusions, les cas du Mali et de la RCA révèlent d’importantes leçons susceptibles d’aider à capitaliser sur cette nouvelle stratégie d’intervention française.
Une franche collaboration avec les acteurs locaux. Cette stratégie aura un impact positif durable, s’il existe une franche collaboration entre les forces françaises, les forces régionales et les autorités politiques légitimes issues d’une sorte de processus de consultation, par exemple les élections. Une collaboration basée sur le respect et l’apprentissage mutuels, l’acceptation de la valeur ajoutée de chaque partenaire. L’exemple de la gestion de la récente crise des otages au Mali, au cours de laquelle les autorités locales ont été tenues à l’écart de l’opération, n’est pas la voie à suivre. Il y a un risque que les forces françaises prennent pour acquises la loyauté et la gratitude des autorités et des populations locales. Ce serait une erreur. La France doit se rappeler que sa simple présence rappelle aux autorités locales et aux pays de la région leur propre échec; donc inutile d’ajouter le mépris à l’injure.
Penser régional et agir local. Ceci ressemble à un vieux cliché, mais il ne peut être plus significatif dans ce cas.La plupart des défis que ces interventions sont censées résoudre exigent une approche régionale qui va au-delà du théâtre des opérations initiales. Ces conflits font partie de systèmes de conflits qui engloutissent non seulement le foyer de la crise, mais aussi les pays de la ligne de front. Par conséquent, toute intervention doit prendre en considération des facteurs tels que les alliances politiques régionales, les dynamiques ethniques transnationales, la religion et les questions transfrontalières.
Les africains doivent renforcer la coopération militaire et diplomatique régionale. Aussi malheureux que puissent être ces crises, les interventions françaises offrent aux armées africaines la possibilité de travailler ensemble, d’harmoniser leurs manœuvres, d’élaborer des stratégies communes et mener des opérations conjointes pour faire face aux crises de plus en plus complexes et transnationales qui touchent plusieurs pays de la région. C’est en travaillant d’abord ensemble que les pays africains pourraient tirer le meilleur parti de ces interventions françaises, et en fait, améliorer leur impact positif tout en atténuant leur dommages collatéraux. Par conséquent, les pays africains ne peuvent pas agir de façon individuelle, ils doivent faire plus. Ils devront apprendre à travailler ensemble dans les fronts militaires et diplomatiques, et en même temps s’appuyer sur ces interventions pour renforcer leurs propres capacités, telles que la Force africaine en attente (FAA) et la Capacité de déploiement rapide (CDR) tant annoncées par l’Union Africaine mais jamais mises en place, les forces sous-régionales de la CEDEAO, CEMAC, etc.
Cette nouvelle stratégie d’intervention de la France ne marque pas nécessairement le retour du gendarme colonial, c’est un défi lancé aux pays Africains et à l’Union Africaine. Les pays africains sauront-ils y répondre ? Pourront-ils orienter la direction de cette nouvelle stratégie française dans le sens de la coopération, la paix et la stabilité en Afrique comme le prétend la France ou vers une dérive néocolonialiste comme le soupçonnent les sceptiques ? La réponse à cette question définira très certainement la réalité des relations franco-africaines à venir.