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Casamance, Conflit, Gambie, Guinée Bissau, Macky Sall, MFDC, Senegal
Le 14 octobre 2013, les représentants du gouvernement sénégalais et ceux du MFDC (groupe irrédentiste en Casamance au Sénégal) ont tenu une importante réunion. Celle-ci avait pour facilitateur la Communauté de Sant’Egidio. Cette importante réunion a permis de mettre en place un cadre commun des négociations de paix pour mettre un terme à l’un des plus longs conflits en Afrique subsaharienne. Certes prometteur, le processus est néanmoins menacé par des facteurs et des choix qui ont torpillés les précédents processus de paix.
Le 26 décembre 1982, la crise en Casamance au Sénégal a dégénéré en manifestations pour l’indépendance à Ziguinchor sa capitale régionale. Ces manifestations ont conduit à la mise aux arrêts de nombreux dirigeants du mouvement séparatiste casamançais le MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance). D’autres réactions du gouvernement ont mis le feu aux poudres et déclenché un conflit armé toujours en cours. C’est l’une des guerres civiles les plus longues encore en cours en Afrique. Bien que n’étant pas aussi meurtrier que certains des conflits sur le continent, ce conflit à basse intensité (attaques et affrontements sporadiques à l’aide d’armes légères et les mines) a néanmoins coûté la vie à environ 3 000 à 5 000 personnes entre 1982 et 2010. La situation actuelle en Casamance reste celle de « ni guerre, ni paix » bouleversée de temps en temps par des affrontements sporadiques et meurtriers de la part du gouvernement et de certaines factions rebelles. Cette situation a plombé le développement dans cette région, créé un terrain propice au banditisme, aux conflits communaux localisés et à la contrebande de toutes sortes de produits (drogues illégales, bois, armes légères et autres biens); par ailleurs, cette économie de la guerre est alimentée par l’instabilité en Guinée Bissau, qui est devenue une plateforme internationale du narcotrafic. La population locale est prise au piège dans un système de conflit qui implique le Sénégal, la Gambie, et la Guinée Bissau.
En dépit de la menace régionale que représente le conflit de la Casamance, il n’existe pas d’effort soutenu de la part de la communauté internationale pour un processus de paix. Peut-être cette fois-ci, la donne est en train de changer!
Depuis 1982, il y a eu de nombreuses tentatives pour ramener la paix dans cette partie du Senegal. En outre, de nombreux accords de cessez-le feu ont été signés depuis 1991. La Gambie et la Guinée Bissau ont facilité certains des ces accords. Le premier avait été signé le 31 mai 1991, à Cacheu en Guinée Bissau. Toutefois, le Front Sud (une des factions) du MFDC n’a jamais accepté l’accord du cessez-le feu. De nombreux autres suivront jusqu’au dernier accord partiel de paix signé le 30 décembre 2004 uniquement par une faction du MFDC. Cet accord de 2004 n’a apporté ni paix ni solution au conflit.
Compte tenu de la « factionalisation » du MFDC, la plupart de ces initiatives de paix n’ont jamais reçu le soutien de l’ensemble du mouvement, causant donc l’échec de chacun des accords ou initiatives. Le MFDC n’est pas le seul acteur fautif, car le gouvernement sénégalais également n’a pas apporté son soutien aux solutions fiables de paix en raison de l’absence de coordination et de suivi des engagements politiques et économiques.
Toutefois, le récent processus de médiation commencé en Octobre 2013 et facilité par la Communauté Sant’Egidio est porteur d’espoir. Tous les efforts semblent aller vers la paix, grâce à la conjugaison de plusieurs facteurs donc : la lassitude de la guerre chez les populations, des réunions informelles récurrentes et des initiatives de paix émanant des différents acteurs tant au niveau local que national, le paysage politique en mutation au Sénégal en raison de l’élection du Président Macky Sall, qui a promis de mettre un terme à ce conflit, et le retour de certaines agences internationales de développement. Ces macro tendances sont également appuyées par des actions concrètes telles que : la décision prise par le gouvernement sénégalais d’annuler le mandat d’arrêt lancé contre un des dirigeants du MFDC en la personne de Salif Sadio, la libération par le MFDC de 09 démineurs pris en otage, le rôle actif de médiation joué par la Communauté de Sant’Egidio.
Par cntre, cette nouvelle démarche pour la paix en Casamance n’est pas exempte des décisions et difficultés qui ont plombées les précédents processus de paix :
L’absence d’une approche globale de la part du gouvernement du Sénégal (GoS) – Le risque pour le gouvernement Sénégalais est double : absence d’une approche générale et envoi de nombreux émissaires. Le Président Macky Sall, n’a pas entretenu de secret sur le fait que la paix en Casamance fera partie de son lègue pour le pays. Jusqu’ici, la promesse et probablement la mise en exécution du plan de développement doté de 35 millions d’euros financé en partie par la Banque mondiale et qui donne la priorité à l’agriculture, aux routes et autres secteurs sensibles, permettront de résoudre les problèmes concrets de développement et les griefs qui ont alimentés le conflit pendant si longtemps. Mais en l’absence d’un cadre politique et d’une voie de sortie, les leaders du MFDC pourraient ne pas être motivés à rechercher réellement la paix. Dans sa quête d’une issue politique, le gouvernement du Sénégal devrait éviter le paradigme conflictuel actuel qui est celui d’« Unité nationale ou rien » Vs. « Indépendance ou rien »; mais plutôt recadrer les problèmes en termes de gouvernance participative et décentralisation. Ce cadre offre plus d’options que la dichotomie simpliste d’indépendance vs. intégrité territoriale du Sénégal.
Par ailleurs, l’une des stratégies de l’ancien président Wade était l’utilisation d’émissaires, que l’on appelait communément «Monsieur Casamance ». Cette stratégie a lamentablement échoué et à plutôt favoriser un réseau de corruption. Il est important pour le GoS de limiter le nombre d’intermédiaires avec le MFDC. La responsabilisation de l’ancien Maire de Ziguinchor, Mr. Robert Sagna en tant que chef négociateur pour le gouvernement permettrait de clarifier et de mieux articuler les positions du gouvernement.
Le risque de « factionalisation » continue du MFDC – La division au sein du MFDC a toujours constitué un défi à relever. Le rapprochement entre Ousmane Niantang Diatta et César Atoute Badiate du Front Sud est un signe encourageant. Mais le différend qui oppose le Front Sud (Diatta et Badiate) au Front Nord (Salif Sadio) constitue une grave menace. Le Front Nord souhaite négocier directement avec le gouvernement du Sénégal tandis que les sudistes veulent premièrement un dialogue au sein du MFDC avant de passer à la négociation avec le gouvernement. Si par le passé, le gouvernement du Sénégal a profité de la division au sein du MFDC, cette fois-ci, un MFDC moins divisé favorable à la paix pourrait être profitable à l’instauration de la paix.
Le risque de discuter avec les radicaux en ignorant les modérés – Les discussions à Rome ont commencé avec Salif Sadio, chef de la plus radicale des factions du MFDC. La Communauté de Sant’Egidio doit avoir probablement agi suivant le vieil adage qui dit que « l’on négocie avec ses ennemis et non pas avec ses amis ». Le résultat a été la frustration croissante du Front Sud de Cesar Batoute et Diatta. Il est temps de ramener à la table des négociations toutes les factions ainsi que les pays voisins que sont la Guinée Bissau et la Gambie. Suivant mon argumentaire ci-dessus, le conflit casamançais est le moteur d’un système de conflit qui part de Banjul en Gambie à Bissau en Guinée Bissau, par conséquent, les pays voisins font autant partie du problème que de la solution.
Ce sont là des défis complexes, les aborder nécessitera leadership et créativité de la part de tous les acteurs impliqués ! Mon espoir c’est de voir le peuple de la Casamance connaître enfin le dénouement de ce long conflit.